Qu'ess tu veux que j'te dise, moi ? Chuis pas une fille compliquée. J'me prends pas la tête, pasqu'il y a des choses ben plus importantes qu'ça ; genre, les questions existentielles, c'est pas mon trip. J'me les pose, hein, après tout, j'suis comme tout l'monde, mais voilà... J'préfère arrêter d'y penser avec une vodka-orange, tu vois ? D'ailleurs, c'pas parce ch'suis comme ça que j'suis débile, même si certains l'pensent. J'fais gaffe à c'qui m'entoure - enfin, quand j'ai pas trop picolé et qu'ch'suis pas morte déch' dans l'caniveau, quoi. Même que j'réfléchis, qu'ça t'plaise ou non. Mais l'plus souvent, j'garde ça pour moi. J'ai pas à emm... les autres avec c'genre de trucs. Pis c'pas bien vu, qu'une militaire pense, t'sais : de un, parce que ch'suis une femme ; de deux, parce que ch'suis pas la plus haut gradée. J'serais générale, on m'dirait bien, et même que ce s'rait bienv'nu. Mais ch'suis pas générale, ch'suis qu'lieut'nant. Et l'lieut'nant, comme ça l'dit, ça tient le lieu. Donc moi, j'garde mon pont, j'obéis aux supérieurs, puis c'est tout.

C'la dit, ch'suis pas forcément désagréable. C'est juste que l'boulot, voilà, ça t'comme un train-train, l'genre d'habitudes qu'tu peux pas perdre. Du coup, on dit qu'ch'suis cassante parfois. C'pas entièrement faux. J'tiens à la discipline, ouais, un peu... J'ai pas l'choix. Mais à côté du boulot, d'la froideur affichée, du port de l'arme puis des "Qui vive ?" braillés sur le Pont... bah ouais, j'peux être sympa, d'temps en temps. Ch'suis pas une bourge millésimée, tu piges ? Mon coin à moi, à Londres, c'était pas Tottenham, c'était Soho. Du coup, les minauderies de pucelles, c'pas mon genre non plus. J'suis franco, c'est dit. Tu kiffes ou tu kiffes pas, rien à faire. D'toute manière, là, j'te cause dans un bar, d'vant une vodka. Si t'étais mon sup', tu vois, j'te parlerais pas ainsi. J'te dirais "Mon colonel. Mon général. Monsieur. Madame.", avec le garde-à-vous et tout. P't'être qu'un jour, si tu d'viens soldat, j'te parlerais comme ça. Mais là, c'pas l'cas.

Qu'ess' tu veux qu'j'ajoute ? J'crois pas à leur c*nneries, Lonewail, tout ça... Tout bêtement pasque j'crois pas aux hasards, ni aux coïncidences. Y peuvent se fiche d'autres personnes, m'en fous. Mais sérieux, nan, faut pas m'prendre pour une brêle pasque j'ai pas les ch'veux bruns. J'y crois pas, mais j'peux rien faire. Si j'fais quéqu'chose de traviole, y vont m'tomber sur le rab, d'autant plus qu'chuis pas la militaire la plus réglo du coin. Ch'sais pas pourquoi y m'ont prise. L'seul truc qui explique ma présence ici, c'est qu'j'étais à Oxford au bon moment. Enfin, "bon"... c'est r'latif, quoi... C'pour ça qu'j'te dis qu'j'y crois pas. J'devrais pas être ici. C'est pas logique. Ici, y devrait y avoir des armoires à glace, des bons soldats, comme j'en connais plein. Y'en avait des masses dans mon ancienne caserne. Et c'sont pas eux qui sont ici. Tu vois c'que j'veux dire, maint'nant ?...

'Fin bref. On r'prend un verre, c'est c'qui a d'mieux à faire. S'taire, et s'taire d'autant plus qu'on écluse. Picoler, c'pas la solution, qu'y disent. P't'êt' ben. Mais vas-y, file-la moi, la solution...